Les journées du Patrimoine 2025

un regard sur

 

Les bâtiments 2 et 3 de graduation des Salines de Tarentaise en 1836 d’après la lithographie de Courtois.

Vestiges des Salines de Tarentaise, les piliers d'un des bâtiments de graduation représentés sur la lithographie de Courtois, 1836.

30 ans après, les Salines de Tarentaise fermaient définitivement ses portes. Plus de production de sel en Tarentaise, plus d’acheminent, plus de portes fortifiées, les Salines de Tarentaise appartenaient désormais à l’Histoire. 

Le sel de Salins en Tarentaise et ses salines (XVe – XIXe siècles)

De Carole Gros[1]

Une journée du patrimoine sur les salines de Tarentaise réussie par la participation d’une quarantaine de personnes venues découvrir plus de quatre cents d’histoire d’un patrimoine industriel niché au cœur de la région.

Plus de quatre cents d’histoire (1449-1866) cristallisés par une seule matière, le sel, cette matière première indispensable tant à la vie de l’homme qu’à la vie de tout mammifère. Voilà qui nous renseigne sur la valeur de cette matière première et on peut penser que l’exploitation du sel de Salins en Tarentaise a pu l’être avant 1449, date du premier document attestant une saline en Tarentaise, une production industrielle de sel en ce lieu. Si la faculté put être donnée de l’exploiter, encore fallait-il en connaître son gisement.

Le sel de Salins en Tarentaise relève de la catégorie des sels de terre issus de sources salées. Des sources d’eaux naturelles traversent des gisements de gypse, une roche sédimentaire dite « évaporite » renfermant l’halite, un composant minéral formé des deux ions NaCl, le sel. Le gypse est témoin de la présence de l’ancienne mer Téthys, il très largement répandu en Tarentaise/Vanoise, région interne des Alpes. Quant à la faculté de produire du sel, les hommes préhistoriques savaient déjà le faire par le procédé de la cuisson-évaporation. Ils avaient même inventé la standardisation en fabricant des gobelets en argile « les augets » qu’ils remplissaient d’eau salée et qu’ils plaçaient au sein d’un support d’argile et de terre soumis au feu, une sorte de grillage. Lors de la cuisson, l’eau s’évaporait et il en résultait des quantités de blocs salés calibrés. Cette technique dénommée du « briquetage » par les archéologues remonte au Néolithique. Des sites ont été retrouvés près de gisement de sel provenant de sources salées dans les départements des Alpes-de-Haute-Provence, des Alpes maritimes et de l’Yonne[2].

De cette démonstration, on peut supposer alors que les sources salées de Salins ont pu être exploitées à l’Antiquité et pourquoi pas, après, par l’Archevêché de Tarentaise ? A l’époque médiévale, le sel de terre relevait de droits régaliens que le sel de mer relevait du domaine royal. Ainsi le sel, par sa nature, a défini la valeur du territoire où il est présent. Il fut un temps où les princes de Savoie s’installèrent à Melphe, à Salins, au château situé au-dessus des sources salées. C’était vers la fin du XIe siècle. Quel fut alors ce lien entre celui qui avait château, droits régaliens et qui autorisa un comte de Maurienne à s’y installer ? Quelles furent en ce sens l’intérêt de ce lieu ?

Salins est situé à un carrefour géographique de vallées alpines, tout comme Moûtiers, siège de l’Archevêché de Tarentaise. Tout carrefour géographique a une destinée géostratégique. Lieu d’échanges, de foire, de siège politique et donc de défense. Un X tarin favorisé par son croisement de voies de communication. A la différence de Moûtiers, Salins bénéfice comme on l’a vu plus haut, d’un gisement de sources salées et au-dessus desquelles, sur un plateau surplombant les vallées alpines, on y avait bâti un château. De fait un lieu géographique qui devint un lieu géopolitique par la valeur de ce lieu, de ce territoire. Il fallait donc bien que ce lien en soit à la hauteur. Vers la fin du XIe, début XIIe siècle et encore dans le courant du XIIIe siècle, le pouvoir ecclésiastique se trouva fragilisé, s’affaiblissait par la montée en puissance du pouvoir des princes laïcs. La puissance du Pape face à la puissance Impériale. Un lien de Pouvoir n’est donc pas chose impossible ; un lien de Pouvoir pour un accord de valeurs non plus, un échange de valeurs que seuls deux hauts personnages pouvaient s’offrir, une aide en échange de droits.  On sait que le comte Humbert II de Maurienne Savoie apporta son aide à l’archevêque de Tarentaise alors en conflit avec les seigneurs de Briançon et que le comte s’installa à Salins, au château de Melphe qui devint un lieu de résidence des princes de la Maison de Savoie.

Au fils des années et durant les périodes médiévales des XIIIe – XIVe siècles, le sel renforça les tensions politiques entre Princes. On a dépassé le stade du « Territoire-Pouvoir », le titre de possession, se dessina alors une parallèle entre « valeur du territoire et puissance du pouvoir », les plus forts voire les plus violents l’emportèrent. Puis, dans cette géopolitique du sel, dans sa poursuite, un nouveau lien se forma entre le Pouvoir et la puissance économique par la fiscalité indirecte, la gabelle du sel. Au pouvoir de créer des monopoles du sel, à la puissance économique, les marchands, les marchands-banquiers, parfois et de plus en plus, d’acheter la concession du monopole valant montant de la gabelle du sel et charge à eux de créer des marchés concurrentiels, de récupérer l’impôt auprès du redevable, les gabellants, et de tirer tous les intérêts de ce monopole concédé. Dans ce système de l’affermage, il est souvent voire en règle générale, à la charge des fermiers, les frais d’édification des salines et autres frais nécessaires à l’accomplissement dudit contrat de concession. Ainsi, en ces périodes de formation des États moderne par les Princes, le rôle de l’impôt ne fut pas écrit dans les livres de compte que le système adopté soit l’affermage ou la régie directe du monopole du sel. Il convient d’aller au-delà pour analyser l’instrument que fût l’impôt.

Examinons le document de 1449, le premier document mentionnant une exploitation en saline du sel de Tarentaise, à Salins.  Que nous dit-il ?

Qu’il y avait une production de sel en quantité suffisante sans avoir recours aux deux petites chaudières mais que les habitants du pays s’en détournaient préférant acheter le sel marin français alors plus cher de deux gros (la monnaie) que celui de Tarentaise et ce pour la même quantité. Jean Dognaz, commissaire des salines de Tarentaise, évoquait ses nouvelles conditions de vente et sollicitait les instances ducales pour connaître les mesures à prendre. Il s’agit en fait d’un rapport de situation que Jean Dognaz soumettait aux instances ducales tout en formulant une requête d’examen. Un mandat fut alors donné au président de la Chambre des comptes de Chambéry afin qu’il prenne étude pour décision de la matière. Trois mois plus tard, celui-ci rendait compte au duc de Savoie des différentes auditions menées et des suggestions émises concernant le sel de Tarentaise. Les grands marchands de sels s’engageaient à ce qu’il prenne place sur les marchés à la condition que son prix fusse décent. Ce qui fut fait. On sait que le duc Louis 1er de Savoie créa un consortium des Salines de Tarentaise le 29 décembre 1461 en faveur de Louis Sescales, soldat et conseillé et Jacques de Lonneville, écuyer, et nomma Pierre d’Annessy comme juge conservateur aux dites causes de la juridiction des salines de Tarentaise.

Puis, au cours des siècles, les salines de Tarentaise ont produit ce qu’elles ont pu produire en tonnes de sel suivant les périodes, les guerres. Malgré les nouvelles techniques de la graduation inventées au XVIe siècle, elles n’ont pu satisfaire les besoins du duché de Savoie alors assurés par l’importation du sel français de Peccais (Camargue) et par d’autres sels suivant les circonstances.  Au début du XVIIIe siècle, le sel de Tarentaise fut exporté vers certains cantons suisse, de Berne et de Fribourg. Afin d’honorer les contrats de vente, une deuxième saline fut établie à Conflans. Grâce à la technique du cordage inventée par l’ingénieur Charles-François de Buttet, les salines de Tarentaise furent propulsées au rang des plus perfectionnées d’Europe vers la fin du XVIIIe siècle. Cette technique supprima tout recours au bois ou autres combustibles nécessaire à la cuite du sel. En 1859, elles furent affermées à la société Plasson de Lyon jusqu’à leur total arrêt en 1866. Quelles produisent ou non, les salines de Tarentaise devaient être maintenues et ce, pour permettre aux souverains de la Maison de Savoie d’assurer différentes stratégies politiques au regard d’une matière première non seulement indispensable à l’homme mais aussi à tout mammifère et donc à tout l’espace alpin occupé par le pastoralisme, espace territorial sur lequel ils ont fondé leur duché d’Empire. Des stratégies politiques qui se sont traduites dans les schémas de la production et importation de sel de France et de la production et exportation du sel de Tarentaise, en fait, dans les enjeux commerciaux internationaux.

En conclusion, le sel de Salins et les salines de Tarentaise ont bien été un élément à part entière de la géopolitique du sel des souverains de la Maison de Savoie.

C’est toute une partie de l’histoire de la Tarentaise qui a donc resurgi lors de ces journées européennes du Patrimoine 2025 et durant lesquelles les visiteurs ont eu plaisir à partager leur témoignage par certains héritages laissés au sein des familles (documents de toute sorte).  Afin de poursuivre ce bel échange, une invitation à se rendre à l’Académie de la Val d’Isère et aux Musées des Arts et Traditions leur a été donnée.

 

[1] Titulaire  Master en Histoire Médiévale, domaine Histoire économique, spécialiste du sel : Le rôle du sel dans l’évolution des territoires de Savoie ? Etat de la question à l’époque médiévale ; Les sels des Savoie et Paganino dal Pozzo, Pouvoir Fiscalité et Réseaux d’affaires, la Strata salis strata cunei 1423-1467. Mémoires de Master en Histoire médiévale sous la direction de F. Mouthon, Université Savoie Mont-Blanc, Lyon 2 -Lyon 3, EHESS Paris, 2021,2022.

[2] Sources INRAP : période du Néolithique entre -6000 et -2200 ans avant notre ère.

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